2014/06/12

Marc-Aurèle : Pensées XVII


XVII. Le temps de la vie de l’homme, un instant ; sa substance, fluente ; ses sensations, indistinctes ; l’assemblage de tout son corps, une facile décomposition ; son âme, un tourbillon ; son destin, difficilement conjecturable ; sa renommée, une vague opinion. Pour le dire en un mot, tout ce qui est de son corps est eau courante ; tout ce qui est de son âme, songe et fumée. Sa vie est une guerre, un séjour sur une terre étrangère ; sa renommée posthume, un oubli. Qu’est-ce donc qui peut nous guider ? Une seule et unique chose : la philosophie. 

Et la philosophie consiste en ceci : à veiller à ce que le génie qui est en nous reste sans outrage et sans dommage, et soit au-dessus des plaisirs et des peines ; à ce qu’il ne fasse rien au hasard, ni par mensonge ni par faux-semblant ; à ce qu’il ne s’attache point à ce que les autres font ou ne font pas. Et, en outre, à accepter ce qui arrive et ce qui lui est dévolu, comme venant de là même d’où lui-même est venu. Et surtout, à attendre la mort avec une âme sereine sans y voir autre chose que la dissolution des éléments dont est composé chaque être vivant. 

Si donc pour ces éléments eux-mêmes, il n’y a rien de redoutable à ce que chacun se transforme continuellement en un autre, pourquoi craindrait-on la transformation de leur ensemble et sa dissolution ? C’est selon la nature ; et rien n’est mal de ce qui se fait selon la nature.

Marc-Aurèle : Pensées XVI


XVI. L’âme de l’homme se fait surtout injure, lorsqu’elle devient, autant qu’il dépend d’elle, une tumeur et comme un abcès du monde. S’irriter en effet contre quelque événement que ce soit, est se développer en dehors de la nature, en qui sont contenues, en tant que parties, les natures de chacun de tout le reste des êtres. 

L’âme se fait ensuite injure, lorsqu’elle conçoit pour un homme de l’aversion ou que, pour lui nuire, contre lui elle se dresse, telles que les âmes des hommes en colère. 

Troisièmement, elle se fait injure, lorsqu’elle est vaincue par le plaisir ou par la douleur. 

Quatrièmement, lorsqu’elle dissimule, agit ou parle sans franchise et contrairement à la vérité. 

Cinquièmement, lorsqu’elle ne dirige son activité et son initiative vers aucun but, mais s’applique à n’importe quoi, au hasard et sans suite, alors que nos moindres actions devraient être ordonnées par rapport à une fin. 

Or, la fin des êtres raisonnables, c’est d’obéir à la raison et à la loi du plus vénérable des Etats et des Gouvernements.