L'homme a des mains parce qu'il est intelligent ou s'il est intelligent parce qu'il a des mains ? Voici ce qu'en dit Aristote.
« (…) Anaxagore prétend que c’est parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des animaux. Ce qui est rationnel, plutôt, c’est de dire qu’il a des mains parce qu’il est le plus intelligent. Car la main est un outil ; or la nature attribue toujours, comme le ferait un homme sage, chaque organe à qui est capable de s’en servir. Ce qui convient, en effet, c’est de donner des flûtes au flûtiste, plutôt que d’apprendre à jouer à qui possède des flûtes. C’est toujours le plus petit que la nature ajoute au plus grand et au plus puissant, et non pas le plus précieux et le plus grand au plus petit. Si donc cette façon de faire est préférable, si la nature réalise parmi les possibles celui qui est le meilleur, ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des êtres, mais c’est parce qu’il est le plus intelligent qu’il a des mains.
En effet, l’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils : or, la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné l’outil de loin le plus utile, la main.
Aussi, ceux qui disent que l’homme n’est pas bien constitué et qu’il est le moins bien partagé des animaux (parce que, dit-on, il est sans chaussures, il est nu et il n’a pas d’armes pour combattre) sont dans l’erreur. Car les autres animaux n’ont chacun qu’un seul moyen de défense et il ne leur est pas possible de le changer pour faire n’importe quoi d’autre, et ne doivent jamais déposer l’armure qu’ils ont autour de leur corps ni changer l’arme qu’ils ont reçue en partage. L’homme, au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours loisible d’en changer et même d’avoir l’arme qu’il veut et quand il le veut. Car la main devient griffe, serre, corne, ou lance, ou épée, ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir. La forme même que la nature a imaginée pour la main est adaptée à cette fonction. Elle est, en effet, divisée en plusieurs parties. Et le fait que ces parties peuvent s’écarter implique aussi pour elles la faculté de se réunir, tandis que la réciproque n’est pas vraie. Il est possible de s’en servir comme d’un organe unique, double ou multiple ».
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