2014/04/18

La vision de la grenouille



... Pour saisir la continuité entre la perception et la signification, considérons l'exemple suivant.

Une grenouille, chacun le sait, se nourrit d'insectes. Mais qu'est-ce au juste qu'un insecte pour elle ? Cela semble tellement évident : un moustique qui vole, une fourmi qui marche, un papillon posé sur une feuille, etc. En fait, nous avons donné là seulement des exemples de ce que sont pour nous des insectes. La grenouille a peut-être un tout autre point de vue sur la question. Effectivement. Diverses expériences ont montré que sa conception de l'insecte diffère considérablement de la nôtre. Son système perceptif est ainsi fait que l'insecte immobile n'est pas vu, tandis que celui en mouvement déclenche immédiatement une réaction de capture. Une grenouille n'a pas besoin d'apprendre ce qu'est une proie. Dès sa métamorphose, elle happe tous les petits objets mobiles qui passent à proximité. Si ce système de perception en apparence simpliste a été conservé par l'évolution, c'est que les connaissances qu'il permet à la grenouille d'acquérir sur le monde suffisent amplement à assurer sa survie. Il est en effet peu courant que des cailloux se déplacent dans les airs, ce qui veut dire que la correspondance entre petits objets mobiles et insectes s'avère presque toujours réalisée. Nous, êtres humains, sommes sans doute capables de faire le détail entre une mouche et un moustique, et de voir l'identité entre une mouche qui vole et une mouche posée sur une feuille, mais nous sommes en contrepartie moins bien armés pour les capturer. Il est vrai que nous ne nous nourrissons pas d'insectes.

La leçon de cette sage grenouille qui ne cherche pas à se faire aussi intelligente que l'homme est que la nature ne fait pas de l'art pour l'art. Les organes de perceptions dont sont pourvus les êtres vivants ne sont pas des gadgets. Ils ont une utilité parfaitement définie, pour ne pas dire une finalité : acquérir de l'information sur l'environnement pour survivre. En conséquence, les perceptions sont toujours dotées de signification. Elles font sens pour celui qui les construit. Ce n'est d'ailleurs certainement pas un hasard si le même mot " sens " sert à désigner à la fois la direction, la signification, et la perception (les organes des sens). Il faut sans doute y voir la sagesse de nos anciens qui avaient conscience de ces liens profonds. Car en vérité, nous l'avons vu, la perception n'est pas une simple construction d'une image du monde en nous-mêmes, mais aussi une projection sur le monde de ce que nous sommes, et de ce que nous voulons être.

Nous pouvons également traduire cela en disant que la signification est inséparable de l'action. Par conséquent chacun de nos actes est imprégné de la signification que nous leur donnons. Un chaman sioux, Black Elk, l'avait fort bien compris et exprimé : " Le pouvoir d'une chose ou d'un acte est dans la signification qu'on lui donne et la compréhension qu'on en a "...

Référence : extrait de Nos pensées créent le monde, Martine Castello et Vahé Zartarian

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